Bonsoir tendresse by René Depestre

Bonsoir tendresse by René Depestre

Auteur:René Depestre
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Odile Jacob
Publié: 2017-12-18T13:13:58+00:00


Les mauvais griots de Papa Doc

Il y avait dans l’entourage de Price-Mars un courant obscurantiste, issu lui aussi de la Revue indigène. Il s’était constitué parallèlement autour de la revue Les Griots, avec les « trois D » : François Duvalier, Lorimer Denis30 et Louis Diaquoi31. Ils formaient toute une équipe d’intellectuels noirs, frustrés dans leur vie sociale, souffrant de ne pas être admis dans les clubs mondains de la capitale où on coudoyait les plus belles filles de Port-au-Prince. Du fait de leur couleur, ils étaient réellement victimes d’un ostracisme. Sous Lescot, cela s’était aggravé. Lescot avait créé un favoritisme très marqué à l’égard des mulâtres. C’était manifeste dans les clubs, dans les fêtes des familles, dans la haute administration. Ces jeunes gens, dans les années 1930, sous Vincent, avaient déjà beaucoup souffert. Ils se réclamaient aussi de Price-Mars, mais ils n’en avaient retenu que le côté africaniste. Ils pensaient que Price-Mars célébrait l’Afrique pour sa couleur alors qu’il faisait plutôt la lumière autour des origines africaines de la culture haïtienne, et qu’il tenait compte du fait qu’on devait à l’Afrique plusieurs composantes de la culture haïtienne, outre la composante française, manifeste par exemple dans la langue créole que Price-Mars maniait très bien. Mais il n’avait pas honte de ses études à la faculté de médecine de Paris. Il s’en réclamait. Certains de ses disciples n’ont toutefois retenu que le « noirisme ». Ils se seraient arrêtés à une sorte de « négrisme », mais, comme le terme était connoté différemment en « Amérique du Sud » – on ne disait pas négrisme en Haïti –, ils ont employé le terme de « noirisme ». C’était une « doctrine » véritablement néoraciste, constituée autour de manifestations raciales, de sentiments raciaux marinés dans le ressentiment, dans la haine de soi et de l’autre mulâtre ou blanc.

Il y avait même des proclamations ostensiblement racistes, comme chez René Piquion32. Le jeune Piquion était un intellectuel qui a fait aussi partie du groupe des Griots. Il soutenait que les Noirs américains faisaient du racisme antiraciste. C’était une aberration de dire cela. On ne peut pas constituer une théorie émancipatrice à partir d’une idéologie de haine comme le racisme, même si c’est pour dire qu’on est antiraciste. C’est un amalgame dangereux. Piquion établissait le lien entre son racisme et son anticommunisme. C’est bizarre, parce qu’il avait été prostalinien à l’époque du pacte germano-soviétique en 1939. Il se promenait avec une veste et une chemise de moujik. Il se réclamait du bolchevisme et disait que c’était à une convergence naturelle qu’on devait la rencontre de l’hitlérisme avec le bolchevisme, au moment même où Hitler a attaqué avec la violence que l’on sait l’Union soviétique ! C’était un homme complètement à côté de la plaque, il faisait partie de ceux qui avaient tendance à déformer la pensée de Price-Mars. Après la mort de Roumain, les « trois D » se sont emparés du Bureau d’ethnologie. Price-Mars, n’ayant pas le temps, a laissé faire. Ce sont eux, Lorimer Denis surtout, qui l’ont dirigé.



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